Le devoir de mémoire de Moscou, par Florin Aftalion Le figaro 15 juin 2005
L’Union européenne est en quête d’une politique étrangère. L’attitude à tenir face à Moscou divise ses membres. Les pays qui ont connu la domination soviétique voient dans la Russie une menace. D’où leur atlantisme. Faute de récupérer les territoires annexés par l’Union soviétique en 1939-1940, les pays Baltes, la Pologne voudraient que les héritiers de l’URSS reconnaissent ses torts. Ce serait un gage de leur sécurité. En participant à la célébration des exploits de l´Armée rouge, le président Chirac a semblé plaider l’oubli. Le devoir de mémoire que nous sommes si prompts à rappeler dans d’autres circonstances semble ne pas s’exercer à propos des crimes du communisme ?
Le 23 août 1939 était signé à Moscou par Molotov et Ribbentrop le pacte dit de non-agression germano-soviétique. Les communistes occidentaux, voyaient dans l’Union soviétique le principal rempart contre les forces fascistes, se réjouissaient. Les chancelleries occidentales furent prises par surprise, alors que Staline préparait son coup depuis longtemps. Il avait, six mois au préalable, limogé son ministre des Affaires étrangères Litvinov qui, en tant que juif, ne pouvait négocier avec les nazis. Des transfuges soviétiques en avaient annoncé l’imminence dans la presse sans malheureusement, être pris au sérieux.
Le pacte de non-agression germano-soviétique et le traité commercial qui l’accompagnait eurent des conséquences sérieuses sur le déroulement de la Seconde Guerre mondiale. La première fut, en assurant les Allemands qu’ils ne seraient pas attaqués à l’est, de leur permettre de jeter toutes leurs forces contre la France en mai 1940. Circonstance aggravante, les chars de la Wehrmacht roulèrent et les avions de la Luftwaffe volèrent avec du carburant fourni par l’URSS. Les communistes du monde entier se comportèrent alors comme des alliés fidèles d’Hitler. Tout changea en juin 1941 lorsqu’à la grande surprise de Staline les divisions allemandes envahirent l’Union soviétique. «Qu’avons-nous fait pour mériter d’être traités ainsi ?» se lamenta-t-il, n’ayant pas compris qu’Hitler.
Qualifier l’accord entre Hitler et Staline de pacte de «non-agression» tient du langage orwellien. C’est, au contraire, d’un pacte d’agression envers des pays tiers dont il s’agit. Après qu’Hitler eut envahi la Pologne, Staline ordonna à ses armées de prendre part au dépeçage de ce malheureux pays. Dans la foulée, elles se jetèrent également sur les pays Baltes et sur la Bessarabie et attaquèrent la Finlande. La plupart des terres ainsi conquises par l’Armée rouge ne furent jamais restituées.
Les communistes se conduisirent dans les régions qu’ils occupèrent aussi bestialement que les nazis. A Katyn, ils exécutèrent d’une balle dans la nuque 15 000 officiers polonais prisonniers coupables d’être des opposants à un futur régime communiste. Sur la ligne de démarcation entre leurs armées et les troupes allemandes, ils mitraillèrent tous les réfugiés, des juifs surtout, qui tentaient de fuir les persécutions nazies.
Une fois agressée, l’Union soviétique se défendit vaillamment et réussit à repousser l’envahisseur jusqu’à Berlin. Elle le fit au prix de quelque huit millions de morts dans ses propres rangs. Ce chiffre monstrueux révèle la difficulté de la tâche mais aussi la cruauté et l’inhumanité des méthodes staliniennes. A l’arrière des lignes rouges circulaient des commandos spéciaux du NKVD (le précurseur du KGB) qui exécutaient systématiquement tout militaire soupçonné de faiblesse ou d’incompétence. Les Soviétiques durent aussi leur victoire à l’aide que leur prodigua Roosevelt. Ils reçurent ainsi 3 000 avions, 581 navires, 77 900 jeeps, 151 000 camions légers et plus de 200 000 camions militaires. Staline obtint également 1,5 million de kilomètres de câbles électriques, 35 000 stations radio, 380 000 téléphones de campagne et plusieurs usines clés en main. Le tout d’une valeur estimée à 9 milliards de dollars livré à Mourmansk. La dette engendrée par ces livraisons colossales ne fut jamais réglée.
La glorieuse Armée rouge, les dirigeants russes et les communistes ont donc pas mal d’excuses et de pardons à demander. Et un gros effort de mémoire à faire que l’Europe devrait l’exiger d’une seule voix.